Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
LA MORALE DE PLATON

en effet qu’au-dessus de la justice, vertu populaire ou politique, Platon place la vertu intellectuelle, c’est-à-dire la sagesse ou la science. C’est cette dernière qui est la vertu par excellence, et qui doit, à ce titre, figurer dans la définition du souverain bien. La preuve que Platon l’entend ainsi, et que le point de vue du Philèbe ne diffère pas essentiellement de celui de la République, c’est que quand il s’agit de distinguer les différentes sortes de sciences (Philèbe, 55, D), il expose une doctrine très analogue et même identique pour le fond à la classification des sciences contenue dans le septième livre de la République. Enfin on peut croire que, suivant les nécessités de la polémique, suivant les adversaires auxquels il avait affaire, le philosophe a été amené à mettre plus ou moins en lumière certains aspects de sa doctrine. Il l’a montrée, ainsi qu’il arrive souvent, plus exigeante et plus absolue dans sa jeunesse, plus tempérée et plus accommodante dans un âge plus avancé. Mais il n’a point chanté la palinodie et, en dépit des apparences extérieures, il est toujours resté fidèle à lui-même. Il a dit dans le Gorgias que c’est un moindre mal de subir l’injustice que de la commettre : cela ne veut pas dire que ce soit un bien. Il vaut mieux être châtié que de rester impuni : cela ne signifie pas que le châtiment soit un bien. Il a soutenu dans la République que le juste persécuté est plus heureux que le tyran triomphant : il ne s’ensuit pas que la persécution et la souffrance soient des biens. Il n’y a pas dans les deux premiers dialogues un seul mot qui aille à l’encontre de la thèse soutenue dans le Philèbe, que la sagesse ne suffit pas au bonheur. Bien au contraire, cette même thèse se trouve déjà formellement indiquée dans le passage du VIe livre de la République, où Platon critique les philosophes qui définissent le souverain bien par l’intelligence et les renvoie dos à dos avec ceux qui le définissent par le plaisir. Enfin on a vu tout à l’heure le texte décisif du Xe livre de la République, où Platon, après avoir isolé pour un moment la vertu de tous les autres biens, lui restitue tous ses avantages et la montre sous son vrai jour. D’autre part, Platon, dans les premiers dialogues, a établi l’impuissance du plaisir à assurer le véritable bonheur. Il dit encore la même chose dans le Philèbe ; mais il n’avait