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LA MORALE DE PLATON

rieur au supérieur, en d’autres termes, de la justice. L’homme de bien sera véritablement heureux s’il est maître de lui, et vraiment libre, puisque c’est la meilleure partie de lui-même qui gouverne sa vie. Il est tranquille, confiant dans le présent, assuré de l’avenir, car la possession du vrai bien ne saurait lui manquer. L’homme qui se laisse aller à ses passions ressemble au tyran ; comme elles changent sans cesse, la partie irrationnelle de l’âme étant comparable à un serpent à mille têtes, celui qui se laisse gouverner par elles n’est jamais en repos et il n’est pas maître de lui, il est toujours esclave et toujours inquiet, car il n’est jamais sûr du lendemain, il est pauvre malgré ses richesses, car il désire toujours autre chose que ce qu’il a. Comment le nom de bonheur conviendrait-il à un pareil état ? Il faut dire au contraire que l’homme adonné à la poursuite du plaisir est toujours malheureux.

En outre, si on met en présence l’homme de bien et celui qui cherche uniquement le plaisir, il est aisé de voir que l’un et l’autre ne sont pas également compétents pour apprécier la valeur des plaisirs. Le sage, en effet, connaît les plaisirs corporels, puisqu’il suffit d’être homme pour les avoir éprouvés, mais le voluptueux ne connaît pas les joies intellectuelles et toutes celles qui accompagnent la pratique de la vertu. Il n’a donc pas qualité pour en juger. L’homme de bien seul peut se prononcer en connaissance de cause : c’est à son jugement qu’il faut s’en rapporter.

Voici enfin un troisième argument qui paraît à Platon le plus décisif, puisqu’il l’appelle une victoire vraiment olympique (Répub., IX, 583, B). On va voir qu’il présente de grandes analogies avec l’argument du Gorgias. Les plaisirs grossiers, selon Platon, ne sont pas de véritables plaisirs ; ils ne sont qu’un fantôme de plaisirs, un néant. En effet ces plaisirs sont par nature toujours liés à une souffrance ; ils en sont la cessation, mais la cessation d’une douleur est un état négatif. Elle paraît agréable par comparaison avec l’état qui a précédé, mais en elle-même elle n’est rien. La cessation de la douleur paraît un plaisir, la disparition du plaisir apparaît comme une douleur ; si l’état intermédiaire entre le plaisir et la douleur était quelque chose, il faudrait donc dire qu’il est à la fois un plaisir et une douleur, et cependant il a été défini