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PHILOSOPHIE ANCIENNE.

le Gorgias et Thrasymaque dans le premier livre de la République. Encore aujourd’hui c’est par des arguments tout semblables et semblablement présentés que la même thèse est soutenue. Les discours des deux sophistes ne sont pas moins éloquents que les dires de Zarathustra.

À quel point de pareils enseignements ébranlaient les anciennes croyances et troublaient les meilleurs esprits, c’est ce que nous attestent les deux discours que Platon, au second livre de la République, met dans la bouche de ses propres frères Glaucon et Adimante. Doués d’une âme généreuse et ayant reçu une excellente éducation, ces jeunes gens restent fidèles aux traditions de leurs ancêtres et ont foi dans la justice. Cependant ils ont entendu les objections des sophistes ; ils ne savent comment répondre et ils avouent ingénument leur embarras. Ils ont recours à Socrate et le mettent en demeure de dissiper leurs doutes, de démasquer les sophismes et de montrer par des arguments irréfutables que la justice mérite la confiance qu’ils ont en elle, et qu’elle est le véritable bien. C’est une tendance naturelle à leur âge de ne pas vouloir se payer de mots et de pousser les idées jusqu’à leurs plus extrêmes conséquences. C’est pourquoi ils posent le problème dans les termes qu’on a vus plus haut. C’est Glaucon qui oppose le portrait de l’homme injuste à celui de l’homme juste ; c’est Adimante qui adjure Socrate de disculper les dieux de l’accusation de vénalité. Il y a dans la sommation touchante et pathétique qu’ils adressent à leur maître un tel accent de vérité qu’on serait tenté d’y trouver un écho fidèle des entretiens qui ont eu lieu jadis entre les jeunes Athéniens et Socrate, ou peut-être Platon lui-même.

Aucun moraliste moderne n’entreprendrait de défendre la doctrine de Platon, qui apparaît comme une gageure ; personne peut-être n’y reconnaîtrait une part de vérité, s’il fallait laisser de côté la sanction de la vie future. Telle est pourtant la nécessité où se trouve Platon. Il croit certainement à l’immortalité de l’âme, il est même le premier philosophe qui ait entrepris de la démontrer rationnellement. On s’est certainement trompé quand on a considéré la croyance à la vie future chez Platon comme mythique ou même comme simplement probable. La doctrine de l’immortalité de l’âme