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PHILOSOPHIE ANCIENNE.

continuellement sans s’efforcer de lui ressembler ? » (République, VI, 499, E.) Non seulement le philosophe, en connaissant le bien, est amené à le réaliser en lui-même, mais encore il s’efforce de le faire connaître aux autres hommes. Le vrai sage n’est pas indifférent aux affaires publiques, il n’est même que trop disposé à s’en mêler, et il le fera dès que les circonstances cesseront de lui faire obstacle. « Ô mon cher Adimante, n’aie pas trop mauvaise opinion de la multitude. Quelle que soit sa façon de penser, au lieu de disputer avec elle, tâche de la réconcilier avec la philosophie en détruisant les mauvaises impressions qu’on lui a données » (République, VI, 499, A). Dans un État bien ordonné, le sage, loin de fuir la vie politique, se ferait un devoir et une joie d’y prendre la part la plus active et de travailler au bonheur commun. C’est à son corps défendant et parce qu’il ne peut trouver l’emploi de ses qualités parmi les foules insensées, que le sage se tient à l’écart des affaires publiques et les fuit à peu près comme l’homme surpris par un orage se met à l’abri derrière un mur. Si c’était nécessaire, on le contraindrait, comme dit Platon, à redescendre dans la caverne afin qu’il ne le cède à personne en expérience. Vers l’âge de cinquante ans, quand il est en pleine possession de ses facultés, il doit prendre la direction des affaires publiques, et, tournant l’œil de son âme vers la vérité immuable, s’efforcer de rendre la copie aussi parfaitement semblable que possible au modèle (République, VII, 540, A). Il reste vrai pourtant que, quand le philosophe a bien rempli sa tâche, qu’il a pris part au gouvernement de l’État, combattu pour son pays et contribué au bonheur de ses concitoyens, sa plus grande récompense est, au moment où la vieillesse est venue et quand ses forces sont usées, d’abandonner la direction des affaires et de consacrer ses loisirs à la contemplation des vérités éternelles (République, VI, 497, C). C’est ici-bas le commencement de la vie divine. Il s’agit bien ici de la vie contemplative, mais elle n’a rien de commun avec le mysticisme ou l’ascétisme. C’est au contraire l’action intellectuelle la plus haute, la culture scientifique la plus complète qu’un être humain puisse connaître. Aristote ne l’entend pas autrement, et ce philosophe, qui ramène toute la réalité à l’énergie ou à l’acte, ne conçoit