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PHILOSOPHIE ANCIENNE

toujours qu’on ne fait jamais le mal sciemment. Mais il ne s’agit pas ici de science ; la vertu qu’on vient de définir se produit sans le concours de l’intelligence et n’est qu’une opinion vraie. Il n’implique pas contradiction que l’opinion vraie (République, III, 414, B) puisse être vaincue par le désir. Entre la vertu moyenne qui vient d’être définie, et la vertu parfaite dont on parlera plus loin et qui est identique à la science, il y a une différence notable. La maxime de Socrate n’est pas applicable à la première ; elle est rigoureusement vraie pour l’autre.

C’est probablement à cette théorie de Platon sur la vertu qu’Aristote fait allusion lorsqu’il parle de ces philosophes aux yeux de qui la vertu est une manière d’être ou une habitude conforme à la droite raison (Eth. Nic., VI, chap. xiii, 1 114, B, 25). Aristote n’est donc pas le premier philosophe qui ait ramené la vertu à l’habitude. La définition qu’il en donne est d’ailleurs beaucoup plus complète que celle de Platon. D’abord, ainsi qu’il le fait remarquer, la conformité à la raison ne suffit pas, car elle pourrait être l’effet d’une rencontre heureuse, il faut que l’habitude soit accompagnée de raison (Ibid.). De plus cette habitude consiste en un juste milieu par rapport à nous, déterminé par la raison et tel que les hommes de bien peuvent le déterminer (Eth. Nic., II, chap. vi, 1007, A, 1 et 2). Il serait injuste de méconnaître l’importance des éléments nouveaux introduits par Aristote ; mais il reste vrai que Platon a le premier considéré la vertu comme une habitude, qu’il l’a fait naître dans la partie inférieure de l’âme, et c’est là l’essentiel. Les deux philosophes sont d’accord pour attribuer la première origine de la vertu à une influence divine, et Aristote admet comme Platon que la vertu ne peut se développer en dehors de la vie sociale, et qu’elle résulte uniquement de l’éducation imposée à chaque citoyen par l’État (Eth. Nic., X, à la fin).

II

Quelle que soit l’importance de ces vertus qu’on désigne encore aujourd’hui sous le nom de vertus cardinales, et surtout de la justice qui en est la forme la plus parfaite, elles ne