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PHILOSOPHIE ANCIENNE

quelque souffrance qu’il nous fasse endurer, si nous croyons qu’il a raison, et qu’il agit en vue du plus grand bien (République, IV, 440, B).

Dans l’analyse qu’il fait du désir en l’opposant à la raison, Platon montre que la fin qu’il poursuit n’est pas nécessairement bonne. Par exemple, l’homme qui a soif, en tant qu’il a soif, ne cherche pas une bonne boisson, mais une boisson quelconque (République, IV, 439, A). Le philosophe revient sur ce point avec une telle insistance qu’on doit supposer qu’il a en vue une théorie contemporaine qu’il combat sans la nommer. C’est probablement celle de Socrate. Platon dira lui-même ailleurs (Gorgias, 500 ; Prot., 355, C), d’accord en cela avec son maître, que l’homme a toujours pour but, non l’action même qu’il accomplit, mais le bien qui doit en résulter pour lui. Mais c’est qu’alors il s’agit de la conduite ordinaire des hommes à laquelle concourent aussi bien l’intelligence que le désir. Dans l’analyse dont il s’agit ici, le désir est considéré en lui-même, et en ce sens il est indifférent au bien et au mal ; en d’autres termes, il n’est pas seulement une idée confuse ou un jugement enveloppé : l’instinct est irréductible à la raison.

À ces trois facultés ou puissances de l’âme correspondent les trois vertus auxquelles il faut, comme tout à l’heure, ajouter la justice, qui est l’accord et l’harmonie de toutes les fonctions de l’âme. Comme l’État, l’âme individuelle n’est parfaite et heureuse que si chacun de ses pouvoirs s’exerce conformément à sa nature, si le désir et le courage sont subordonnés à la raison et gouvernés par elle. De même qu’un État est troublé et malheureux s’il est en proie à des dissensions intestines, de même l’âme est vicieuse et malheureuse si le désir inconstant et changeant, comparable à un monstre à mille têtes, l’emporte sur la raison. La justice dans l’homme est identique à la justice dans l’État.

Parmi les vertus, il en est deux : la sagesse et le courage, auxquelles on peut assigner une place déterminée (République, IV, 432, A) comme les fonctions mêmes auxquelles elles correspondent. La tempérance et la justice n’ont pas de places distinctes, elles occupent l’âme tout entière ; elles sont répandues dans toutes ses parties. La justice n’est donc pas