Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175
LA MORALE DE PLATON

chaque citoyen accomplit, sans jamais en sortir, la fonction à laquelle la nature l’a prédestiné. À ces trois classes de citoyens ou à ces trois fonctions correspondent trois vertus : tempérance, courage, prudence, et une quatrième, la justice, qui n’est autre chose que la bonne harmonie et l’accord des différentes parties de l’État, résultant de l’application rigoureuse du principe qui vient d’être formulé. La justice est ainsi la vertu par excellence et régulatrice de toutes les autres.

On peut distinguer dans l’âme individuelle trois parties correspondantes aux trois classes de citoyens. « Ce qui est véritablement difficile, c’est de décider si nous agissons par trois principes différents ou si c’est en nous le même principe qui connaît, qui s’irrite, qui se porte vers le plaisir attaché à la nourriture, à la conservation de l’espèce et vers les autres plaisirs de cette nature » (République, 436, A).

C’est ici que Platon se sépare nettement de Socrate. Celui-ci estimait, en effet, qu’il n’y a en nous qu’un seul principe. Platon, par une démonstration en règle, établit qu’il y en a plusieurs. Pour le prouver, il invoque cette règle évidente qu’une chose ne peut pas en même temps et sous le même rapport produire et subir deux actions contraires. On ne peut donc lui attribuer deux états contraires qu’en distinguant des parties. On ne dira pas simplement que la toupie qui tourne est à la fois en mouvement et en repos, mais qu’elle est en repos selon son axe immobile, en mouvement selon sa circonférence. On ne dira pas non plus que l’archer approche et écarte de lui en même temps son arc, mais qu’il l’écarte d’une main et l’approche de l’autre. De même on distinguera dans l’âme une partie rationnelle et une partie irrationnelle parce qu’elles sont souvent en conflit et en contradiction l’une avec l’autre. L’opposition du désir et de la raison est un fait constamment attesté par l’expérience. Dans la partie irrationnelle, pour les mêmes raisons, il faut distinguer deux fonctions : la colère ou le courage, et le désir. Sous le nom de colère ou de courage, Platon ne désigne pas, comme on l’a cru quelquefois, la volonté, mais seulement les aspirations généreuses de l’âme. Dans les conflits qui éclatent entre la raison et le désir, la colère se range toujours du côté de la raison. Nous ne nous irritons jamais contre un autre homme,