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LA MORALE DE PLATON

À cette proposition initiale s’en rattachent trois autres, qui en découlent nécessairement, ou plutôt qui sont d’autres expressions de la même idée. D’abord la vertu, si elle est une science, peut s’enseigner. En outre la vertu est unique. Il ne faut pas dire des vertus qu’elles sont différentes les unes des autres comme les parties du visage, mais plutôt elles sont comme les parties d’un lingot d’or, semblables entre elles et semblables au tout (Prot., 329, E). Protagoras, par exemple, a tort de dire que le courage est une vertu distincte de la tempérance et de la sagesse, parce qu’il peut exister sans elles. Le courage ainsi entendu n’est que de la témérité (Prot., 349, D) ; il ne mérite son nom que s’il est la science de ce qui est à craindre et à éviter. — Enfin, si la vertu est une science, il suffit de connaître le bien pour l’accomplir. Personne n’est méchant volontairement (345, D ; 352, D ; 358, C) ; ou, en d’autres termes, la science ne peut être vaincue par le désir. L’homme cherchant toujours son bien, il est contradictoire d’admettre qu’ayant de ce bien une connaissance certaine, il puisse vouloir autre chose. Si donc on appelle incontinence avec le sens commun (Prot., 352, B) l’état de l’homme qui ne peut pas se maîtriser et qui, connaissant le bien, se laisse entraîner par la colère, la volupté, l’amour ou la tristesse, il ne faut pas hésiter à dire que le sens commun a tort : l’incontinence n’existe pas.

Le Protagoras nous montre Platon signalant déjà les difficultés que présente la thèse socratique, mais sans prendre encore nettement parti contre elle. Il s’attaque à la première des propositions ci-dessus et se demande si la vertu peut être enseignée. Si elle pouvait l’être, verrait-on les Athéniens, quand il s’agit de choisir un pilote ou un architecte, ne s’en rapporter qu’à des hommes qui ont appris l’art de la navigation ou celui de la construction, tandis que, s’il s’agit de la conduite des affaires publiques, ils admettent que le premier venu, serrurier, cordonnier ou maçon, sans aucune étude préalable, leur donne des conseils sur ce qui est juste ou injuste ? (Prot., 319, D.) D’autre part, les plus grands hommes, ceux qui ont rendu le plus de services à l’État et dont on admire le plus la vertu, un Thémistocle, un Périclès, un Thucydide, ont eu des fils indignes d’eux. Qui peut douter,