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LES « LOIS » DE PLATON ET LA THÉORIE DES IDÉES

que d’une manière détournée, par induction et par interprétation, qu’on a pu le lui prêter. Le seul endroit, à notre connaissance, des dialogues de Platon où les Idées soient représentées comme des pensées, νοήματα, est le texte du Parménide (132, B) ; encore cette opinion n’est-elle indiquée que pour être aussitôt rejetée comme absurde ; partout ailleurs Platon reste fidèle au principe qu’il tenait de Parménide : la pensée est identique à l’être et on ne pense pas ce qui n’est pas. L’opinion même (République, V, in fine) doit avoir un objet, car elle est l’opinion de quelque chose. Rien n’est plus éloigné de la conscience individuelle de Descartes ou du conceptualisme kantien.

Il faut donc conclure que Platon est resté jusqu’au bout fidèle à la théorie des Idées. Cela n’empêche pas d’ailleurs qu’il y ait des différences entre les derniers dialogues et les précédents. Mais cette différence s’explique très simplement. Après avoir, dans des dialogues tels que le Cratyle, le Phédon, le Phèdre, les livres VI et VII de la République, exposé la théorie des Idées considérées en elles-mêmes comme choses en soi et séparées, Platon s’est trouvé en présence d’un nouveau problème, le plus difficile et le plus embarrassant de tous ceux qu’il ait rencontrés, celui de la participation ou du mélange des Idées. Le Parménide pose le problème dans toute sa difficulté, le Sophiste et le Politique en donnent la solution. Il convient d’ailleurs d’ajouter que le Ve livre de la République paraît être de la même période, puisqu’il fait une allusion directe à la théorie du non-être (478, C) exposée dans le Sophiste. Le problème de la participation une fois résolu, il ne restait plus à Platon qu’à chercher les applications de sa théorie et à rendre compte du monde sensible. Après la théorie de l’être venait naturellement celle du devenir. À mesure qu’il descend du monde supérieur au monde inférieur, qu’il passe des choses divines aux choses humaines (τὰ ἀνθρώπινα), il lui est de moins en moins indispensable de revenir sur les premiers principes posés une fois pour toutes. C’est pourquoi la théorie des Idées tient moins

    ce sens qu’Aristote les critique et c’est seulement chez les Néoplatoniciens qu’on voit apparaître pour la première fois la thèse chère à M. Lutoslawski, qui considère les Idées comme les pensées de Dieu.