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PHILOSOPHIE ANCIENNE

connaître ce qu’elle est de même : ὅ τί ποτ’ ἔστι, la réalité, l’essence : τὴν οὐσίαν, qu’elle représente. C’est la même doctrine qui est exposée au Xe livre de la République ; et ce qui achève bien de prouver qu’il ne s’agit pas ici d’un pur concept ou d’un genre logique, mais bien d’une réalité supérieure à l’expérience et d’une chose transcendante, c’est la distinction, indiquée dans la suite du texte, entre la connaissance du philosophe et celle qui suffit au poète ou à l’artiste. Pour bien juger d’une copie par rapport à son modèle, trois choses sont nécessaires (669, B) : ὅ τί ἐστι πρῶτον γιγνώσκειν, ἔπειτα ὡς ὀρθῶς, ἔπειθ' ὡς εὖ τὸ τρίτον εἴργασται τῶν εἰκόνων ἡτισοῦν ῥήμασί τε καὶ μέλεσι καὶ τοῖς ῥυθμοῖς. Le poète n’a besoin de connaître que la troisième, le législateur vraiment instruit, πεπαιδευμένος, doit les connaître toutes les trois (670, E). Le même point de vue se retrouve un peu plus loin, lorsque Platon, après avoir montré suivant sa méthode habituelle qu’il est difficile d’embrasser sous une seule idée (718, C : ἐν ἑνὶ περιλαβόντα εἰπεῖν αὐτὰ οἶόν τινι τύπῳ), les différents objets de la législation, cherche cependant à déterminer quelque point fixe.

La distinction qui suit entre le médecin empirique et celui qui procède scientifiquement, la nécessité pour le législateur de justifier rationnellement les lois qu’il porte et de s’adresser à la persuasion, et beaucoup d’autres passages semblables, se rapportent assez clairement à cette science que Platon ne perd jamais de vue, distincte de la routine et de l’expérience, et qui a pour objet les véritables réalités, c’est-à-dire les Idées. N’est-ce pas encore une allusion à la théorie des Idées que ce passage où Platon, reprenant la célèbre doctrine déjà exposée dans le Banquet, presque dans les mêmes termes, explique la génération et le mariage par le désir naturel à tout être vivant de participer à l’immortalité ? L’expression même dont il se sert (721, B : μετείληφεν ἀθανασίας, cf. Banquet, 208, B : θνητὸν ἀθανασίας μετέχει) n’atteste-t-elle pas jusqu’à l’évidence que ni sa manière de penser ni ses habitudes de style n’ont été modifiées et que, quelle que soit la diversité des applications qu’il en fait, il demeure toujours attaché aux mêmes principes. On ne contestera pas le lien étroit qui unit dans le Banquet cette théorie avec celle des Idées, et, s’il subsistait encore quelque doute, l’expression employée