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PHILOSOPHIE ANCIENNE

historique et philosophique, fondée sur la première, du platonisme tout entier. On ne louera jamais assez l’infatigable ardeur, le zélé scientifique, la prodigieuse activité, l’ingéniosité subtile avec lesquelles M. Lutoslawski a appliqué les procédés de la méthode stylométrique à la question si controversée de la chronologie des dialogues platoniciens. Ces recherches sont, à ce point de vue, un modèle d’investigation à la fois patiente et hardie, et il est juste de ne pas oublier dans ces éloges le nom de son initiateur et de son maître, M. Lewis Campbell. Ce n’est pas que, même à ce point de vue, il n’y ait peut-être des réserves à faire : les nombreuses critiques que la nouvelle méthode a suscitées en Allemagne en sont la preuve. Il n’est peut-être pas aussi sûr que le croient les admirateurs de Lutoslawski et M. Lutoslawski lui-même, que les conclusions de la stylométrie, en ce qui concerne la chronologie, soient le dernier mot de la science et la vérité définitive. Mais notre intention n’est pas, dans la présente étude, de discuter cette question. Nous tiendrons provisoirement pour acquise la classification des dialogues, d’ailleurs fort plausible, proposée par le savant historien. En particulier nous admettons sans discussion que le Sophiste, le Politique, le Philèbe, le Timée, le Critias et les Lois sont les derniers dialogues écrits par Platon. C’est uniquement sur les conclusions philosophiques qu’il en a déduites que nous voulons ici porter notre attention. Ces conclusions sont fort graves. Si elles sont légitimes, il faut renoncer à l’idée qu’on s’est faite jusqu’ici de la philosophie platonicienne. Avant de les laisser s’accréditer parmi nous, sous le couvert d’une méthode objective et d’un appareil scientifique, il est nécessaire de les soumettre à un examen scrupuleux. Indiquons d’abord les grandes lignes de l’interprétation nouvelle ; nous ne saurions mieux faire que de reproduire ici le résumé qu’en a donné M. Lyon, avec sa précision, son élégance et sa clarté habituelles : Platon « en vint de plus en plus à reconnaître que les Idées avaient dans l’universalité des esprits l’unique fondement de leur réalité, de sorte qu’il aurait abouti, dans sa doctrine dernière, à une sorte de conceptualisme objectif qui devait renaître dans le criticisme moderne. Ce n’est pas assez dire que d’annoncer de profonds changements, un renouvelle-