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LA THÉORIE PLATONICIENNE DE LA PARTICIPATION

ne peut cependant abandonner l’une et l’autre, car ce serait renoncer à toute affirmation, à toute science, à toute philosophie. Il faut donc se résigner à les admettre l’une et l’autre malgré leurs difficultés, faire comme les enfants qui, lorsqu’on leur donne à choisir entre deux choses, les prennent toutes deux. Bref, il faut affirmer la réalité du non-être comme celle de l’être et passer outre à toutes les protestations que ne manqueront pas de faire entendre les adversaires. Ce point établi, toutes les autres difficultés se résoudront en quelque sorte d’elles-mêmes.

Voici maintenant le résumé de la critique à laquelle Platon soumet l’Idée de l’être. Les philosophes antérieurs en ont pris à leur aise avec la question de la nature de l’être : les uns admettent trois êtres, tantôt en guerre, tantôt en paix les uns avec les autres ; un autre, deux seulement, le sec et l’humide, ou le chaud et le froid. Selon Parménide et son école, il n’y a qu’un seul principe, un seul être. Enfin les Muses d’Ionie et de Sicile déclarent l’être à la fois un et multiple, soit que l’être s’opposant à lui-même s’accorde toujours avec lui-même, soit que l’Amour et la Discorde interviennent tour à tour pour rétablir l’unité.

Toutes ces formules paraissent claires : elles ne le sont pas si on les examine de près, elles sont même aussi obscures que la notion du non-être. En effet, quand on dit par exemple que le chaud et le froid sont deux êtres, le mot être désigne-t-il un nouveau principe ? Il y en a alors trois et non plus deux ; désigne-t-il au contraire un des deux êtres ? alors il n’y en a plus qu’un ; l’être appartient-il à tous les deux ? alors encore ils ne font qu’un. Il faut adresser une question analogue aux partisans de l’unité : on demandera ainsi à Parménide si, en disant que l’un est, il entend ou non que l’un est la même chose que l’être. Dans le deuxième cas il y aura deux noms pour une même chose, et on retombera dans la pluralité ; dans le premier il faudra dire que le nom n’est le nom de rien, ou qu’il est le nom d’un nom, et il y aura encore dualité. La discussion qui s’engage ici, et qui est expressément dirigée contre le chef de l’école d’Élée, rappelle de très près celle du Parménide (244, F ; 245, A) ; elle n’en est, à vrai dire, qu’un abrégé et semble même se terminer par une allusion directe à ce dia-