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PHILOSOPHIE ANCIENNE

que l’unité n’existe pas, c’est uniquement par leur multitude qu’elles peuvent être ce qu’elles sont, c’est-à-dire autres les unes que les autres. Cependant, pour différer les unes des autres, il faut que chacune d’elles, quoique essentiellement multiple, ait au moins l’apparence de l’unité. Ainsi, chacune des choses autres que l’un paraît d’abord une, mais elle ne l’est pas puisque l’un n’est pas, et, si on l’examine attentivement, elle se résoud en une pluralité, dont chaque partie à son tour, quelle que soit sa petitesse, subit le même sort et se divise à l’infini. Nous sommes donc en présence d’une poussière d’êtres, d’une apparence qui sans cesse nous échappe comme dans un songe ; mais cela n’empêche pas que cette apparence évanouissante ne paraisse avoir un nombre, puisque d’abord elle paraît une. Elle est paire ou impaire, la décroissance paraît avoir un commencement, un milieu et une fin ; par suite elle paraît, quoique sans fondement, participer à l’égalité et à l’inégalité, à la grandeur et à la petitesse, au mouvement et au repos, au devenir et à la destruction, à tous les contraires. S’il en est ainsi, c’est que d’abord elle paraît une. En attribuant l’existence aux autres choses, on leur a implicitement reconnu quelque unité ; quoique l’un n’existe pas, il subsiste donc quelque chose de lui, un souvenir, une trace.

Tous les simulacres dont on vient de parler empruntent donc tout ce qu’il y a de réel dans leur apparence à ce qui reste de l’unité supposée non existante. Rien de plus curieux que cette analyse où l’unité, tout en n’existant pas, reste cependant présente, comme de loin, aux autres choses, qui ne peuvent différer les unes des autres qu’en participant encore, en quelque manière, à l’unité.

L’un projette ainsi du fond de son néant une sorte d’intelligibilité crépusculaire qui est tout ce que nous pouvons savoir du reste des choses. Il semble bien que ce soit ici non plus seulement le devenir ou la sensation, mais l’apparence du devenir, le simulacre ou le rêve que Platon a voulu expliquer dialectiquement. Il y a peut-être une allusion à cette théorie dans le passage du Timée où la matière nous est présentée comme entrevue à travers un songe. Dans tous les cas, on voit comment, dans la cinquième et dans la septième