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LE DEVENIR DANS LA PHILOSOPHIE DE PLATON

L’interprétation d’Ed. Zeller a de quoi séduire. Il n’est point jusqu’à l’auteur de la Physique qui ne semble la confirmer puisque nous lisons au livre IV de cette même Physique (ch. 2, 209, B, 11) : διὸ ϰαὶ Πλάτων τὴν ὕλην ϰαὶ τὴν χώραν ταὐτό εἶναι ἐν τῷ Τιμαίῳ.

Pourtant ce texte d’Aristote, à y regarder de près, n’affirme qu’une chose : l’identité de la matière et de la χώρα. Reste à savoir comment χώρα, τόπος, ἕδρα veulent être traduits ; χώρα signifie place, τόπος lieu, ἕδρα siège. Aucun de ces mots ne s’applique à ce que nous, modernes, nous appelons l’espace. L’espace des modernes correspond, chez Aristote, non au lieu, mais au vide τὸ ϰένον, c’est-à-dire à l’absolu non-être, au néant. D’ailleurs il résulte d’un texte du De Anima, que, loin d’expliquer la matière par l’espace, Platon, ainsi que plus tard Aristote, devait expliquer l’espace par la matière. D’où nous nous permettons de conclure, autorisés par la lecture attentive des textes, que les trois substantifs, que nous traduisons par lieu, place, siège, ne sont employés, par Platon, qu’en un sens tout métaphorique et pour souligner l’aptitude de la matière à tout recevoir indifféremment. Cette matière serait comme l’emplacement où se réaliseraient les contraires, comme leur champ de lutte. C’est bien, en effet, l’état de lutte qui est l’état normal de la matière. Tandis que nous nous représentons l’espace comme absolument inerte, Platon se représente la matière dans un état incessant d’agitation. Si on ne la peut définir, ce n’est point son néant qui en est la cause, mais, uniquement, son instabilité. Voici un lingot d’or. Vous lui faites prendre successivement et incessamment les formes d’un triangle, du carré… Puisque jamais aucune de ces formes ne subsiste, il est impossible de dire : « voilà un triangle ou un carré d’or ». Tout ce qu’on est en droit de dire, c’est : « voilà de l’or ». Tel est le cas de la matière dont l’essence est de toujours paraître et de toujours disparaître : φαντάζεσθαι ϰαὶ πάλιν ἀπόλλυσθαι, d’être agitée par de continuelles secousses, σείεσθαι, de tout recevoir, πάντα δέχεσθαι. Ces termes veulent, selon nous, être pris dans une acception qualitative. Nous savons, d’autre part, que la matière résiste à ce qui veut entrer en elle, qu’elle manifeste sa résistance par de l’agitation et du mouvement, que ce mouvement n’a ni