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LE DEVENIR DANS LA PHILOSOPHIE DE PLATON

admettre qu’à un certain moment cette essence vînt à lui faire défaut.

Dans le Phédon, les arguments favorables à la thèse de la vie future se succèdent avec une rapidité parfois éblouissante, naissant, pour ainsi dire, les uns des autres. Il serait dès lors assez embarrassant de les classer. Aussi ne les exposerons-nous pas en détail. Nous nous en tiendrons à ce qui est visiblement la partie essentielle de la doctrine, à savoir, la preuve donnée par Socrate vers la fin du dialogue. En voici le résumé : les Idées existent. On sait leur nature. Or, pas plus qu’autre chose, une Idée ne saurait devenir son contraire. Une chose ne peut être en même temps blanche et noire, chaude et froide. Certes, et c’est en cela que le devenir consiste, une chose peut changer d’état. Ce qui était froid peut devenir chaud ; ce qui était blanc peut devenir noir. Mais ce n’est pas le froid qui devient chaud, ni le blanc qui devient noir. Le froid s’en va, le chaud le remplace. Et de même le noir se substitue au blanc qui a disparu.

Ce n’est pas tout. L’impossibilité pour un être de devenir son contraire en entraîne une autre, celle de recevoir certaines propriétés qui, sans être leurs contraires, se rapprochent de ces contraires par d’étroites affinités. Par exemple, la neige n’est pas le contraire du chaud. La neige néanmoins ne peut jamais devenir chaude et la chaleur la fait disparaître. Autre exemple : voici le nombre trois. Il n’est pas le contraire du pair. Mais il participe si étroitement de la nature de l’impair que, si le pair survient, le nombre trois infailliblement disparaît.

Revenons maintenant à l’âme. L’âme n’est pas la vie. Mais, entre l’âme et la vie, la parenté est indéniable, ὡς συγγενὴς οὖσα. Si donc la mort vient se substituer à la vie, l’âme s’éloignera, mais sans être détruite. De même, tout à l’heure, nous avons vu s’éloigner le chaud, le blanc, l’impair, sans être anéantis. En effet, si l’âme est un principe de vie, et telle est sa définition, il est contradictoire qu’elle périsse. Et par là il est démontré, non seulement que l’âme peut survivre au corps, mais que, de plus, ainsi que le suppose un des personnages de Phédon, elle peut revêtir plusieurs