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LE DEVENIR DANS LA PHILOSOPHIE DE PLATON

à la critique allemande. Pour les éviter, Stallbaum et Édouard Zeller ont essayé de voir dans l’Idée du Bien le Dieu du platonisme. Au livre VI de la République ne nous est-il pas dit que l’Idée du Bien est au sommet de la hiérarchie des Idées, qu’elle est dans le monde intelligible ce qu’est le soleil dans le monde sensible, que rien n’existe ni ne peut être connu, si ce n’est grâce à elle ? Source de toute existence et de toute intelligibilité, comment l’Idée du Bien ne serait-elle pas Dieu ? Il est vrai que la personnalité lui manque. Il est vrai, d’autre part, que nous sommes au début de la spéculation philosophique, et il ne conviendrait pas d’exiger de Platon, touchant le problème des rapports de Dieu et du monde, une précision que les modernes n’ont pas toujours su atteindre.

Certes, voilà une interprétation beaucoup plus conforme que la précédente à l’esprit et même à la lettre du platonisme. Il s’en faut, toutefois, que nous la jugions admissible.

D’abord, et si l’on s’en réfère au célèbre texte de la République, c’est le soleil qui est appelé θεός, c’est lui qui est le Dieu du monde sensible. De ce que l’Idée du Bien occupe dans le monde intelligible la même place que le soleil dans le monde sensible dont il est Dieu, il n’en résulte pas que cette Idée soit elle-même un Dieu. De plus, si telle avait été la pensée de Platon, Aristote eût-il négligé de nous en informer ? Le silence d’Aristote est donc une preuve contre l’interprétation proposée. Le Timée en est une autre. Enfin, que signifie cette expression si souvent commentée par les Alexandrins, et qui élève l’idée du Bien au-dessus de l’Essence et de l’Être, ἐπέϰεινα τῆς οὐσίας, si cette Idée est un Dieu ? L’expression peut bien s’appliquer à une Idée, non à un être déterminé. Au VIIe livre de la République, nous retrouvons une expression du même genre, prise dans le même sens et s’appliquant à la même Idée du Bien, c’est le mot ὑπὲρ οὐσίας. Platon savait donc ce qu’il voulait et ne voulait pas dire quand il déclarait l’Essence inférieure à l’idée du Bien.

Qu’est-ce donc que le Dieu de Platon ? Un Être composé, comme tous les êtres de la philosophie platonicienne, c’est-à-dire, un « mélange d’Idées ». La formule, au premier