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SUR LE « BANQUET » DE PLATON

de Socrate, qu’il est composé de manière à nous donner du philosophe une idée diamétralement opposée à celle qu’Aristophane avait laissée dans l’esprit des Athéniens. Il fallait bien faire allusion à cette figure et cet extérieur de Socrate qu’il avait signalés de bonne heure à l’attention des Athéniens et aux railleries des poètes comiques. Mais en comparant Socrate à un Silène ou à un Marsyas, Platon a soin d’ajouter qu’il ressemble à ces statuettes qu’on voit dans les ateliers des artistes et qui, sous des dehors grotesques, recèlent à l’intérieur quelque divinité. Une autre particularité avait donné prise à la malignité de ses contemporains. C’étaient les bizarreries de ses attitudes, ses silences, son immobilité pendant de longues heures, et sa tendance à s’isoler des autres hommes pour mieux suivre ses réflexions. C’est peut-être à ces singularités de l’attitude de Socrate qu’Aristophane fait allusion en le représentant dans un panier suspendu entre le ciel et la terre. Platon ne conteste pas ces bizarreries. Il nous le montre au contraire, dès le début du dialogue, s’arrêtant avant d’entrer chez Agathon et longtemps perdu dans ses méditations. De même, à la fin du discours, nous le voyons au siège de Potidée demeurer immobile un jour et une nuit entière, ce qui provoqua parmi ses compagnons de l’étonnement et même un peu d’irritation (220, D). Mais si Socrate s’isole ainsi du reste des hommes, ce n’est pas, comme l’a prétendu son ennemi, pour s’occuper de billevesées ou mesurer la longueur du saut d’une puce. C’est aux plus hautes questions que s’attache la pensée du philosophe, et Platon lui rend ce témoignage qu’il n’abandonne ses recherches que quand il est parvenu à satisfaire les exigences de son esprit (175, D). À la suite de la longue méditation devant Potidée, quand il revient à lui-même, son premier soin est d’adresser une prière au soleil. C’est peut-être une réponse à l’accusation d’impiété déjà indiquée dans les Nuées. De toutes les accusations portées contre Socrate aucune n’était plus grave et n’avait fait plus d’impression sur ses juges que celle de corrompre la jeunesse. C’est à celle-là surtout qu’il fallait répondre, et c’est aussi sur ce point que porte l’effort principal de Platon.

Nous avons montré que le portrait tracé par Alcibiade a