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PHILOSOPHIE ANCIENNE

montrer comment elle se complète peu à peu. Dans le Protagoras, qui est sans doute le premier en date, il lui est venu des doutes sur la légitimité de la théorie socratique, et, sans être encore tout à fait décidé, il commence à s’éloigner de son maître. Dans le Ménon il va plus loin. Il abandonne à la fois l’idée que la vertu peut s’enseigner et la formule socratique qui en est inséparable : la vertu est une science. Il a reconnu qu’il y a un moyen terme, non-aperçu par Socrate, entre la science et l’ignorance : la vertu est une opinion. La conclusion du Ménon est très précise et formelle : Ἀρετὴ ἂν εἴη οὔτε φύσει οὐτε διδαϰτόν, ἀλλὰ θείᾳ μοιρᾳ παραγιγνομένη ἄνευ νοῦ (99, E). Au moment où il écrit le Banquet, Platon n’abandonne rien de cette théorie. La vertu n’est pas naturelle, elle n’est donnée toute faite à personne, elle n’est pas non plus enseignable, si on entend par là qu’on pourrait la donner à tout le monde par un enseignement approprié. Elle a pour condition un don ou une faveur divine, θεία μοῖρα. L’amour n’engendre que dans la beauté. Cependant l’enseignement est nécessaire pour développer ces dispositions naturelles. S’il s’agit de la vertu politique et populaire, comme il le dira plus tard dans la République, c’est aux lois, à l’éducation instituée par l’État, qu’incombe la tâche de former ces habitudes qui constituent des vertus. S’il s’agit de la vertu la plus haute ou de la science, le Banquet nous apprend comment on peut la développer. Cet enseignement n’est pas purement abstrait et théorique. Le désir du bien, l’amour de la vertu, l’exemple surtout sont indispensables à qui veut le donner.

À cette conception se rattache aussi toute la théorie de la maïeutique, et cette assertion si souvent répétée par Socrate qu’il ne sait rien, et que ses entretiens ont seulement pour but de faire sortir la vérité d’esprits qui la contiennent déjà.

On s’étonnera peut-être qu’en modifiant si profondément la doctrine d’un maître qui ne savait qu’une seule chose, l’amour, Platon, qui sait beaucoup d’autres choses, ne se soit pas fait scrupule de mettre dans la bouche de ce même Socrate une doctrine qui suppose toute la théorie des Idées et n’a de sens que dans une philosophie à laquelle Socrate n’avait jamais pensé. Mais, outre que c’est Diotime, comme