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SUR LE « BANQUET » DE PLATON

conduit les chercheurs vers la vérité, ou, suivant sa propre expression, d’un auxiliaire, συνεργόν (212, B). Quelle que soit la part faite à l’amour, il reste toujours au second rang. Comme l’inspiration poétique, comme le don de la divination et les différentes sortes de délires énumérées dans le Phèdre, comme l’opinion vraie, comme la vertu elle-même, du moins la vertu populaire et politique, il appartient, non à la partie supérieure de l’âme qui a pour siège la tête, mais à cette faculté intermédiaire, et à cette région moyenne dont le siège est la poitrine.

Cependant Socrate et Diotime, malgré les réserves du commencement du discours, font de l’amour un tel éloge, ils en parlent en termes si enthousiastes et, en dernière analyse, lui attribuent un rôle si important, qu’on ne saurait s’étonner si quelques interprètes se sont mépris sur la véritable pensée du philosophe. On a cru parfois que l’enthousiasme ou l’amour étaient le terme suprême, le couronnement de la philosophie de Platon, que la dialectique aboutissait à l’amour et se subordonnait à lui, si bien qu’en dernière analyse la philosophie de l’auteur du Banquet serait une philosophie de sentiment et mettrait le cœur au-dessus de la raison. Sans aller aussi loin et sans faire de Platon un mystique, d’autres ont pu concevoir que l’amour et la dialectique, le sentiment et la pensée se confondaient en un même acte, concouraient au même but et avaient une part égale à la connaissance suprême. D’autres enfin, prêtant par anticipation à Platon une doctrine soutenue par quelques modernes, ont cru que selon lui l’acte suprême de la pensée exigeait le concours simultané de toutes les puissances de l’âme, et ils se sont autorisés du texte de la République (VII, 518, C) où il est dit qu’il faut aller à la vérité avec l’âme tout entière : σὺν ὅλῃ τῇ ψυϰῇ. Il y a cependant là une triple erreur, et il suffit pour s’en convaincre de lire attentivement le texte même du Banquet. L’amour passe par tous les degrés jusqu’au terme suprême de l’initiation. Il s’élève de la beauté d’un corps à la beauté de tous les corps, puis à la beauté des âmes, enfin à celle des actions humaines et des lois. Mais remarquons qu’au-dessus de toutes ces beautés Platon place encore les belles sciences, τὰ ϰαλὰ μαθήματα (211, C), et au-dessus de ces