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philosophie, ma politique, ma religion. » La pensée première de ce roman avait tant de prix pour Brizeux, que je la retrouve sous la forme d’une comédie intitulée L’Équilibre. Le plan est fait, les actes et les scènes sont distribués ; chaque personnage est annoncé avec les nuances de son caractère : il s’agit de corriger {Brizeux souligne le mot en souriant), il s’agit de corriger, ni plus ni moins, Le Misanthrope de Molière. Entre Alceste et Philinte, il faudrait un Ariste, c’est-à-dire Molière lui-même, et Molière l’a oublié. Brizeux réparera l’omission. Il met en scène une âme franche, impétueuse, dont l’àpreté a besoin d’être contenue par la science de la vie ; en face de ce nouvel Alceste, il place trois ou quatre Philintes (la race a pullulé), une véritable légion de complaisants qui excusent tout, parce qu’ils ne croient à rien. Voilà bien des occasions d’emportement pour l’Alceste du xixe siècle ; où est Ariste pour régler cette passion qui s’égare ? Ariste est représenté par une femme. Cette harmonie que cherche le poète, cette mesure dans l’ardeur généreuse et la patience, cette science de la vie enfin, c’est une mère qui est chargée de l’enseigner à l’homme.

Je ne rendrai pas à Brizeux le mauvais service de louer des œuvres qui n’existent qu’en projet ; en telle matière, l’exécution est tout. Je signale seulement ces programmes de romans, de comédies (il y en a d’autres encore), afin de marquer avec plus de précision la physionomie de l’écrivain. Pourquoi n’a-t-il pas réalisé ses plans ? Parce que la poésie pure le rappelait toujours. Lévite consacré à l’art des vers, il se laissait entraîner à sa fougue, à l’abondance de ses idées, il jetait sur le papier maintes ébauches, puis, au moment de commencer sa comédie ou son roman : « Non disait-il, je resterai fidèle à l’unité de ma vie, à l’harmonie de mon œuvre. » Sur ce terrain, sa verve, si concentrée qu’elle fût, était intarissable. Entre cent autres projets, il méditait depuis longtemps un grand poème sur l’époque héroïque de son pays. Ce devaient être trois récits, Tristan, Merlin, Arthur, poétiques et touchantes histoires, distinctes l’une de l’autre et unies cependant par un lien commun sous ce même titre : La Chute de la Bretagne. Brizeux répondait ainsi à la critique de M. Maonin, critique intelligente et féconde, puisqu’elle provoquait une telle