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l’idylle vraie, l’idylle à la fois réelle et idéale ; libre cependant, sans préjugés d’école, il étudiait les maîtres classiques avec une pénétration merveilleuse. Son admiration très fine et très indépendante n’admettait pas de jugements convenus. Il louait ou blâmait, pièces en main, avec des raisons personnelles, très senties, qui eussent bien surpris parfois les commentateurs attitrés. Son La Fontaine, son Boileau étaient chargés de notes à la fois respectueuses et hardies. Dans son ardeur à renouveler chez nous le récit poétique, il étudiait les secrets de La Fontaine, et ce style le jetait en extase, bien qu’il ait poétiquement déchiré la page où le fabuliste médit de Kemper-Corentin. On eût dit qu’il conversait de plain-pied avec ces hommes d’un autre âge, et cela sans présomption aucune, sans ombre d’arrogance, comme un disciple de l’idéal qui cause librement avec un maître enchanté lui-même de l’ardeur et de la liberté du disciple. Il reprenait maintes choses, hasardait un conseil, soulignait un vers et le refaisait parfois[1].

  1. Parmi des remarques très précises sur Corneille et Racine, sur Molière et La Fontaine, les deux grands, comme il les appelle, je trouve cette rectification d’une petite pièce de Malherbe. Il commence par transcrire les vers sur la pucelle d’Orléans brûlée par les Anglais :

    L’ennemi, tous droits violant.
    Belle amazone, en vous brûlant,
    Témoigna son âme perfide ;
    Mais le destin n’eut point de tort :
    Celle qui vivait comme Alcide
    Devait mourir comme il est mort.

    Puis il ajoute : « Les quatre premiers vers sentent un peu le normand et la procédure. On pouvait dire plus vivement :

    Monte au bûcher, fille intrépide.
    Et laisse à l’Anglais son remord :
    Celle qui vivait comme Alcide
    Devait mourir comme il est mort. »