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NOTICE

Vendant leurs libres mains à des travaux serviles,
Villageois enlaidis vêtus en ouvriers.
 
Ô Dieu qui nous créas ou guerriers ou poètes.
Sur la côte marins et pâtres dans les champs,
Sous les vils intérêts ne courbe pas nos têtes,
Ne fais pas des Bretons un peuple de marchands.
 
Nature, ô bonne mère ! éloigne l’industrie !
Sur ton sein laisse encor nos enfants s’appuyer !
En fabrique on voudrait changer la métairie :
Restez, sylphes des bois, gais lutins du foyer !
 
La science a le front tout rayonnant de flammes,
Plus d’un fruit savoureux est tombé de ses mains !
Éclaire les esprits sans dessécher les âmes,
O bienfaitrice ! alors viens tracer nos chemins.
 
Pourtant ne vante plus tes campagnes de France !
J’ai vu par l’avarice ennuyés et vieillis
Des barbares sans foi, sans cœur, sans espérance,
Et, l’amour m’inspirant, j’ai chanté mon pays.
 
Vingt ans je l’ai chanté… Mais si mon œuvre est vaine,
Si chez nous vient le mal que je fuyais ailleurs,
Mon âme montera, triste encor, mais sans haine,
Vers une autre Bretagne, en des mondes meilleurs !

Ainsi le poète était toujours ramené à sa pairie ; qu’on ne croie pas cependant que dans ces beaux vers il s’agisse seulement de la Bretagne. La Bretagne ici, c’est la patrie de l’âme, c’est le domaine de la religion, de la philosophie et de l’art ; le dragon rouge, c’est la toute-puissance de l’industrie et le matérialisme destructeur. Ceux qui voient avec effroi grossir comme un torrent la servile démocratie de notre époque, tous ceux qui combattent pour la défense de l’idéal, pour la cause des idées philosophiques et religieuses, tous ceux qui mettent encore l’esprit au-dessus des sens et l’homme libre au-dessus de l’esclave, ont le droit de répéter en leur nom la noble clameur du poète !