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NOTICE

poète et la savante variété de son style. Cette science du style, devenue chez lui une préoccupation de toutes les heures, il la déployait quelquefois aux dépens du naturel. En cherchant la concision, il a rencontré trop souvent l’obscurité. La veine courante et facile de Marie, le large souffle des Bretons, avaient fait place, dans maintes pièces, à une forme écourtée, condensée, pleine d’ellipses et de sous-entendus. Pour ceux qui n’ont lu que ses derniers vers, ce chantre si doux a pu sembler un peu dur ; cette imagination si prompte a pu être accusée de sécheresse : pur défaut de forme et qui tenait aux scrupules exagérés de l’artiste. Il y a une classe d’écrivains qu’on pourrait appeler, comme le personnage de Térence, les hommes qui se tourmentent eux-mêmes ; Brizeux avait ainsi maints accès de dévotion poétique oú il devenait un héautontimoroumenos. Combien il eût mieux réussi à moins de frais ! Peut-être aussi les défauts de ses derniers recueils sont-ils la rançon des trésors qu’il y a semés. Si l’auteur de Primel et Nola ne s’était pas appliqué à concentrer sa pensée sous la formule la plus brève, s’il n’avait pas demandé ce secret à La Fontaine, à Horace, aux proverbes populaires, et surtout à ceux de ses cantons, ei’it-il écrit ce journal poétique où sont dessinés en quelques traits tant de petits tableaux vifs, nets et merveilleusement éclairés par la pensée ? Le Colporteur, Le Tisserand, La Procession, La Génisse, Comme on bâtissait la Maison d’école, La Fête des Morts, Dernière demeure, toutes ces petites pièces sont des chefs-d’œuvre d’art. La force et la souplesse, le réel et l’idéal, tous les tons s’y trouvent réunis, et à travers cette variété d’images le poète nous ramène toujours au Dieu de la Bretagne et du monde.

Brizeux complétait sans cesse ce recueil d’Histoires poétiques, et il ne les empruntait pas seulement à son pays. Ceux qui lui ont reproché de s’être trop cantonné dans sa Bretagne n’ont pas tenu compte de ses excursions si variées dans le domaine général de l’homme. Les tableaux les plus opposés sollicitaient sa verve de conteur. De la boutique de l’épicier, si vivement décrite dans L’Artisane, il passait au salon du roi Louis XV ou au tombeau de la fille de Ciccron. Sa Poétique nouvelle, malgré les objec-