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ment suivies. Adieu le presbytère, et la laude embaumée, et les rives du Scorf, et les sentiers connus qui conduisent au mousyoir ! Adieu les leçons sur Virgile au milieu des foins et des genêts ! Brizeux entra au collège de Vannes en 1816. L’année précédente, lorsque Napoléon, revenu de l’ile d’Elbe, avait recommencé la lutte contre l’Europe, les écoliers de Vannes s’étaient armés pour que les Bretons restassent les maîtres chez eux. « Assez de guerres ! criaient des milliers de voix. Assez de sang versé pour l’ambition d’un homme ! Nos pères et nos frères sont morts sur tous les champs de bataille ! Nous, s’il faut mourir, nous mourrons en Armorique. » Et ils avaient pris les armes contre les soldats de l’Empereur. C’était la guerre des chouans, la guerre des géants, comme l’appelait Napoléon, recommencée par d’héroiques écoliers. Pendant trois mois, ils tinrent la campagne, harcelant l’ennemi, l’obligeant à diviser ses forces ; enfin la bataille eut lieu le 10 juin 1815 et ce fut une mêlée terrible où blancs et bleus, enfants d’un même pays, tombèrent sous des balles fratricides. Ces luttes impies, purifiées toutefois par tant d’épisodes héroïques et touchants, ne furent pas inutiles à l’éducation du poète. Un esprit bien fait mûrit vite à ce feu dès guerres civiles. En arrivant à Vannes, l’élève du curé d’Arzannô trouvait plus que les souvenirs de ce tragique épisode : la tradition était vivante et présente. Cet enfant qui joue dans la cour, ce grave jeune homme qui passe avec son livre, ils faisaient partie de la bande du meunier Gam-Berr. Celui-ci était auprès du barde populaire surnommé le Cygne-Blanc, lorsque le vaillant chanteur fut frappé d’un coup de sabre à la gorge. Que d’émotions pour une cime si vive et si prompte ! L’écolier de Vannes admirait ses ainés, il sentait bouillonner en lui le sang breton, et cependant, avec son instinct du vrai, il comprenait bien qu’un intérêt plus élevé, l’intêrêt de la grande patrie, était en jeu dans ce déplorable conflit. Huit jours après cette bataille de Vannes, le 18 juin. Napoléon était vaincu à Waterloo ; les écoliers bretons avaient-ils donc fait cause commune avec les Anglais de Wellington et les Prussiens de Blûcher ? Brizeux sentait tout cela, des émotions contradictoires agitaient son âme ; et plus tard, dans un chant de conciliation et