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NOTICE

qui se passait de l’autre côté du moustoir ? Cette liberté même qu’il a si exactement décrite, cette vie en plein air ne justifie-t-elle pas tous les épisodes de l’idylle ? Je m’arrête ; c’est assez d’avoir indiqué les deux opinions. Boccace explique à sa manière l’amour subit de Dante, âgé de neuf ans, pour la petite Béatrice Portinari, et, bien qu’il soit presque contemporain de l’auteur de la Divina Commedia, la plupart des critiques modernes ont dû rectifier sa narration. La Marie de Brizeux n’est pas la Béatrice de Dante ; mais dans sa simplicité, dans sa grâce élégamment rustique, la douce fille du moustoir, avec son corset rouge et ses jupons rayés, a déjà ses admirateurs, j’allais dire ses dévots. Si quelque jour on discutait, au point de vue de la vérité, l’idylle du pont Kerlô, je donne d’avance mes documents et mes notes[1].

Il fallut quitter cependant cette libre vie d’Arzannô. L’écolier de l’abbé Lenir allait avoir douze ans ; c’était l’heure de commencer des études, non pas plus fécondes peut-être, mais plus régulière-

  1. Le correspondant si bien instruit dont j’ai résumé les notes, et que je me permets de contredire ici, est M. Lenir, naguère chef du personnel à l’administration des domaines, aujourd’hui directeur de l’enregistrement à Kemper. Or, depuis que cette page a paru dans la Revue des Deux Mondes, j’ai appris que je n’avais pas eu tort de discuter ce point avec M. Lenir et de contester son opinion : un frère du poète, M. Ernest Bover, son confident, et en maintes occasions son témoin, a bien voulu ajouter à mes conjectures l’autorité décisive de ses souvenirs. Tous les épisodes du poème de Marie, la scène du pont Kerlô, les adieux sous le porche de l’église, la nuit de Noël, tout cela est scrupuleusement vrai ; la pénétrante simplicité des tableaux n’est égalée que par la sincérité du peintre. « J’accompagnais mon frère, me disait M. Boyer, à cette foire d’Arzannô, où il acheta des bagues à Marie et à ses sœurs. Je n’étais qu’un enfant, mais je la vois encore avec son air calme et doux,

    De ses deux jeunes sœurs, sœur prudente, entourée, »