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soutenir sa vie laborieuse, que l’estime de son pays, dont il semble emporter le génie dans la tombe. Si jamais homme a rempli sa tâche, ce fut M. Le Gonidec. Dans quelques années, lorsque les regards de la science se seront enfin tournés vers les idiomes celtiques, le nom de notre grammairien ne sera prononcé qu’avec une sorte de vénération. Tel fut le sentiment tardif de M. Raynouard, initié, mourant, aux œuvres d’un homme qu’il avait longtemps méconnu. La Grammaire celto-bretonne a exposé les règles originelles et conservées par la tradition, mais non écrites, de notre langue ; les deux Dictionnaires, autres chefs-d’œuvre, en ont donné le tableau complet, et la traduction de la Bible a paru ensuite comme un texte inimitable. Ainsi toute la langue bretonne est comme en dépôt dans ses livres. Les beaux et continuels efforts ! Onze années de veilles prises après les travaux journaliers et nécessaires à la famille (dès 1807 il s’était marié) furent données aux Dictionnaires, deux ans à la Grammaire, dix à l’admirable Bible, et cependant nulle récompense ! Si prodigue pour tous les dialectes morts ou bien connus, l’État ne put trouver une obole pour cultiver le celtique, ce vivant rameau des langues primitives qui de l’Asie s’étend encore sur la Gaule.

Qu’on le sache cependant, nous plaidons ici pour Le Gonidec, plus haut qu’il ne le fit jamais pour lui-même. Outre une grande fierté, il y avait en lui comme une humeur allègre, qui le menait bien à travers les nécessités de la vie. Mais si ces dures nécessités le détournèrent de sa vocation, ne sont-elles pas déplorables ? Et ne doit-on pas regretter ce qu’avec plus de loisir il eût fait pour la science et pour le pays ?