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tant aimé, il meurt loin de sa mère, loin de ses frères, loin de ses amis, qui, pressés en foule autour du barde, se seraient disputé l’honneur de réciter ses vers sur sa tombe !

« Moi seul ici je l’ai connu, je l’ai aimé, j’ai serré ses nobles mains… Vous tous, messieurs, qu’un sentiment pieux a réunis auprès de ce cercueil, et qui avez si généreusement répondu à mon appel, soyez doublement remerciés, puisque vous ne le connaissiez qu’à demi !…

« Mais j’ai tort, vous le connaissiez aussi. Amis des lettres, amis de l’art religieux et spiritualiste, sympathiques à tous les sentiments élevés, vous avez le droit de former ici ce cortège, et ce n’est pas à mon appel que vous avez répondu, c’est à la voix même du poète. Brizeux n’appartient pas seulement à la Bretagne ; il appartient à la France entière, à tous les cœurs épris du bien et du beau, à tous ceux qui savent goûter la délicatesse des sentiments, l’élévation de la pensée, le charme et la mélodie du langage. Il y a dans notre poésie du xixe siècle des imaginations plus variées, plus éclatantes ; il n’en est pas de plus pures. Connaissez-vous beaucoup de poètes qui puissent se dire à l’heure suprême : « Je n’ai chanté que la religion, la patrie, l’amour de la nature et de l’art, les meilleures, les plus saines émotions de l’âme humaine. Jamais je n’ai prêté ma voix aux accents du désespoir, aux séductions de la volupté, aux entraînements de l’orgueil. Épurer les cœurs et consoler les âmes, c’était là toute ma poétique. » Brizeux peut se rendre ce témoignage. Le trait dominant de son œuvre, c’est sa passion pour l’art ; et l’art était pour lui l’interprète des plus consolantes pensées. Dés le début, il s’était dit, comprenant bien la mission périlleuse et la responsabilité de l’écrivain en des temps comme le nôtre :

 
Dans la paix de mon cœur et dans son innocence
(Car les simples de cœur ont aussi leur puissance),
Malade ou désolé, quoi que fasse le sort,
J’achèverai mon œuvre et serai le plus fort !
Mais bien souvent, Seigneur ! quand la noire tempête
Élèvera ses flots au-dessus de ma tête,