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résolut tout à coup de quitter Paris, espèrant retrouver ses forces sous le ciel du Languedoc. Un de ses frères d’un autre lit, M. Ernest Boyer, sous-préfet de Corbeil, qui l’aimait d’une affection sans partage, essaya en vain de le retenir ; vainement aussi M. Auguste Barbier, M. Lacaussade, d’autres amis encore, l’entouraient à l’envi des soins les plus dévoués : il était impatient de se réchauffer au soleil. Depuis les dix-huit ans que durait notre amitié, j’avais eu plus d’une fois le bonheur de le recevoir sous mon toit ; il se rappela nos courses dans la campagne, nos longues promenades au bord de la mer, et ce fut près de moi à Montpellier, qu’il voulut respirer ces chaudes haleines printanières auxquelles il redemandait la vie. Il vint donc, et ce fut pour mourir. Il était arrivé le 16 avril ; trois semaines après, il expirait dans mes bras.

Comment dire quelle fut ma douleur, lorsque je vis le noble poète, le poète si fier et si doux, s’éteindre ainsi loin de tous les siens ? Celui qui avait tant aimé les vallées de sa Bretagne venait de fermer les yeux dans une province éloignée ; l’artiste, Parisien autant que Breton, allait s’acheminer vers sa dernière demeure sans y être accompagné par ses confrères. Famille, amis, tout lui manquait ; moi seul, en ces tristes moments, je devais, ainsi que me l’écrivait M. Sainte-Beuve, représenter auprès du mort toutes les amitiés, toutes les piétés et toutes les religions rassemblées. Heureusement, je pouvais compter sur de sympathiques auxiliaires. Le vrai poète est assuré de trouver une patrie partout où il y a des cœurs d’élite. Etranger moi-même en ce pays, mais connu d’un auditoire nombreux auquel l’auteur de Marie s’était mêlé plus d’une fois, je savais bien qu’il me suffirait de prononcer son nom pour réunir autour de son cercueil un cortège digne de lui. Le jour même où Brizeux avait rendu le dernier soupir, je publiai dans Le Messager du Midi cette lettre aux auditeurs du Cours de littérature française.

« Messieurs et chers auditeurs,

« Dans mes leçons sur la litlératuie française, en rapprochant les écrivains modernes des maîtres immortels de l’art, j’ai eu