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Le Doute


 
Souvent, le front baissé, l’œil hagard, sur ma route
Errant à mes côtés, j’ai rencontré le Doute,
Être capricieux, craintif, qui chaque fois
Changeait de vêtements, de visage et de voix.

Un jour, vieillard cynique, au front chauve, à l’œil cave,
Le désespoir empreint sur son teint blême et hâve,
Chancelant et boiteux, d’un regard suppliant,
Il se traînait vers moi, tel qu’un vil mendiant
Qui de loin vous poursuit du cri de ses misères
Et sous ses haillons noirs met à nu ses ulcères.
Ainsi l’affreux vieillard, sans honte, sans remords,
M’étalait chaque plaie et de l’âme et du corps :
Sa naissance sans but, sa fin sans espérance,
Comme il avait grandi pauvre et dans la souffrance,
Sa jeunesse écoulée, et puis, pour quelques fleurs,
Des épines sans nombre et d’amères douleurs ;
Ces éternels combats d’une nature double,
La raison qui commande et l’âme qui se trouble ;
Et le bien et le mal, vieux mots qu’on n’entend pas,
Pareils à deux geôliers attachés à nos pas.
Et si je reculais devant un tel délire,