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Et cependant, pourquoi ce pénible voyage ?
Aujourd’hui, dans quel but ? Et lorsque son image
M’est demeurée entière et charmante, pourquoi
Ternir ce pur miroir que je porte avec moi ?
Un teint brûlé du hâle, une tempe amaigrie,
Un œil cave, est-ce là mon ancienne Marie ?

C’était jour de dimanche et la fête du bourg :
On chantait dans l’église ; et dehors, alentour,
Sous le porche, la croix, les ifs du cimetière,
Mille gens à genoux récitaient leur prière ;
Parfois un grand silence, et tout à coup les voix
Éclataient, et couraient se perdre dans le bois ;
La messe terminée, à grand bruit cette foule
Sur la place du lieu comme une mer s’écoule ;
Alors appels joyeux, rires et gais refrains ;
Les voix des bateleurs et des marchands forains,
Le sonneur sur le mur proclamant ses criées ;
À ses bons mots sans nombre éclats, folles huées ;
Lui, d’un air goguenard, pressait les acheteurs,
Et pour un blé si beau gourmandait leurs lenteurs.
Dans l’auberge voisine enfin l’aigre bombarde
Qui sonne, les binioux à la voix nasillarde,
Les danseurs deux à deux passant comme l’éclair,
Et jetant en cadence un cri qui perce l’air.

Devant l’un des marchands, bientôt trois jeunes filles
Se tenant par la main, rougissantes, gentilles,
Dans leurs plus beaux habits, s’en vinrent toutes trois
Acheter des rubans, des bagues et des croix.
J’approchai. Faible cœur, ô cœur qui bats si vite,
Que la peine et la joie, et tout ce qui t’excite