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Marie


 
Jamais je n’oublîrai cette immense bruyère
Où cheminant tous deux je disais à mon frère :
« Entends-tu ces regrets, et combien il est doux
D’avoir aimé, bien jeune, une enfant comme vous ;
Sur les monts, dans les prés, quand tout fleurit, embaume,
Ou dans l’église obscure, en récitant le psaume,
En face sur son banc de se voir chaque jour,
Le cœur plein à la fois de piété, d’amour ;
Les signes, les regards tout chargés de mollesse ;
Mille pensers troublants qu’il faut dire à confesse ;
Les projets d’être sage, et, dès le lendemain,
Un baiser qu’on se prend ou qu’on donne en chemin ?
Le sens-tu bien, mon frère ? Et lorsqu’en harmonie
Deux fois par la beauté l’âme au corps est unie,
Et qu’ensemble éveillés notre cœur et nos sens
Dans un divin accord résonnent frémissants,
De ces jeunes amours, dans le cœur le plus grave,
Il reste un souvenir qui pour jamais s’y grave,
Un parfum enivrant qu’on respire toujours,
Et les autres amours ne sont plus des amours. »