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Le vent d’ouest arrivait, et la mort sur ses ailes.
Hélas ! et le patron ! quel etfroi dans son œil
Tandis qu’il consultait les bruits de chaque écueil !
Il semblait déjà voir au milieu des tempêtes
La mer se soulever toute grosse de têtes ;
Son geste était bizarre et brusque ; il parlait clair
Comme pour surmonter les sifflements de l’air,
Et sa parole forte, et rude, et saccadée,
Sillonnait sa figure avant l’âge ridée.
 
Le premier, il cria : « L’homme ici ne peut rien ;
Ainsi, prions la Vierge et notre ange gardien. »
Lilèz pleurait ; le mousse, en appelant sa mère,
S’accrochait à la barre. — « Enfants, vite en prière !
Dit le prêtre à son tour. Par ce chemin salé
Autrefois saint Beûzec en Cornouaille est allé :
Paisible, il naviguait dans son auge de pierre.
Aux saints de l’Océan faisons notre prière.
— Oui, répondit Anna, priez tous ! mais d’abord
Jetez-moi dans la mer, moi qui suis votre mort ! »
 
Mer féroce, récifs géants, horrible gouffre,
Vagues qui bondissez d’amour quand l’homme souffre,
Dois-je, mer implacable, ajouter en tremblant
À tant de noirs récits quelque récit sanglant ?
Et cependant, naguère, errant sur ces rivages.
J’allais comme enivré de leurs beautés sauvages !
Malgré moi je prenais plaisir à tant d’horreurs !
L’homme aime l’amertume et jouit des terreurs.