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Scaer l’emportait partout ! Scaer, le pays des luttes
Et des joyeux chanteurs aux savantes disputes ;
Scaer, où les anciens jeux sont toujours honorés,
Et qui, chaque dimanche, au milieu de ses prés,
Dans les beaux soirs d’été, voit sa mâle jeunesse
Exercer sous le ciel sa force et son adresse :
Tous nobles laboureurs brunis dans les travaux,
Pâtres au cou nerveux, plus durs que leurs taureaux,
Bûcherons que la mort au coin des bois éprouve
Et qui dans leurs deux bras otreindraient une louve !
 
Cette lutte dura trois heures. Sur son banc
Nul n’osa défier le vieux Moris Conan :
Redoutable vieillard, à sa place immobile
Et les deux bras croisés, il attendit tranquille.
 
Le soleil déclinait ; au pied d’un peuplier,
Dans la lice broutait toujours le noir bélier.
« Cette part au plus fort est encor destinée,
Cria le juge ; à lui l’honneur de la journée ! »
Tal-Houarn et Lan-Cador étaient là dans les rangs.
Des luttes jusqu’alors témoins indifferents.
On les vit d’un air grave entrer dans la prairie.
C’étaient des hommes francs tels qu’en fait leur patrie :
Ils se prirent la main en ennemis courtois,
Et firent tous les deux un grand signe de croix.
 
Debout, pied contre pied et tête contre têtc,
Comme s’ils attendaient que leur âme fût prête,
Ils restèrent ainsi tellement engagés,
Qu’en deux blocs de granit on les eût dits changés.
Leur front tendu suait et montrait chaque veine ;