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Ah ! ces rapports secrets, tous ces liens charmants,
Ceux-là les savent bien qui pour âge ont vingt ans !
Sur le seuil d’une grange, à l’écart de la foule,
Anne tient sa ceinture et sur son doigt la roule,
Et le jeune Loïc, sans craindre de témoin,
Lui présente un anneau rapporté de bien loin ;
Mais son doigt se referme, et, fille honnête et sage,
Elle dit : « Contez-moi d’abord votre voyage. »
Et lui : « Si dans ma lettre on n’a point vu mon cœur,
Pourquoi parler, surtout lorsqu’on parlant j’ai peur ?
Que vous redire, Anna ? La route et ses merveilles ?
Un amant ne voit rien : les choses sans pareilles
Du port de Lorient, la barre du Poull-Du,
Hélas ! je n’ai rien vu, je n’ai rien entendu ;
Mais partout je cherchais, ô la folie étrange !
Celle que j’importune encor sous cette grange.
 
« Triste et seul, jeune fille, ainsi longtemps j’errai,
Cependant, arrivé dans Sainte-Anne d’Auray,
Anne, j’ai voulu voir votre digne patronne
Que d’un respect si grand la Bretagne environne :
C’est notre mère à tous ; mort ou vivant, dit-on,
À Sainte-Anne une fois doit aller tout Breton.
Beaucoup de gens priaient ; or, mon âme affligée
À prier avec eux se sentant soulagée,
J’ai repris mon chemin ; et le nouvel espoir
Qui me rendait léger, chacun l’aurait pu voir,
Car ils sont faits ainsi ceux que leur cœur entraîne :
Ils montrent leur plaisir comme ils montrent leur peine.
Bientôt m’apparaissaient Carnac et son clocher,
Quand je vis, au détour d’un immense rocher.
Un enfant qu’on faisait marcher sur cette pierre :