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Faudra-t-il, avec eux errant de flot en flot,
Suivre le jeune clerc et le vieux matelot ?
Ô sombre Gâvr-Iniz, voici que dans ton antre
Le couple voyageur, armé de flambeaux, entre ;
Et sur tes murs sculptés, runes mystérieux,
Ils promènent longtemps et les mains et les yeux.
Vous, antique Belle-Île, Enn-Arh dépouillé d’ombre,
Hur plongé dans l’eau, récifs, îlots sans nombre,
Vous les voyez baisser leur voile ; et toi, Rhuis,
Sur les six corps de saints dormant sous tes parvis
S’agenouiller ! Rhuis, terre trois fois sacrée,
Qu’enivrait Tal-iésin de sa harpe inspirée.
Où pleurait Abeilard, où la terreur des rois,
Gildas, faisait gronder les foudres de sa voix !…
Enfin, quittant la mer, ils vont en caravane
Dans la ville des ducs, l’antique et noble Vanne.

Là s’arrêtait leur course ; et le fruit de l’oubli,
Le clerc en voyageant ne l’avait point cueilli.
 
De retour à Carnac, sur ses anciennes grèves,
Au murmure des flots il reprenait ses rêves,
Lorsqu’un soir, en rentrant, il voit dans son logis
Une lettre briller sur le buffet de buis,
Une lettre à son nom ! Ah ! comme vers la porte,
Pour la lire à l’écart, brusquement il l’emporte,
Tout brûlant de savoir si par quelque regret
A sa plainte touchante enfin on répondrait !
 
Mais, faiblesse du cœur, terreurs qu’un rien redouble !
Sur ce papier ouvert déjà son œil se trouble ;
11 semble redouter ce qu’il désirait tant,