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Anna file son chanvre ; et, rieuse avec tous,
Léna berce Nannic qui dort sur ses genoux.
« Vraiment, vous aimez bien, Hélène, votre frère,
Dit en entrant le prêtre ; on vous dirait sa mère.
— Ah ! c’est notre bonheur, notre dernier enfant !
Nous serons vieux ici le jour qu’il sera grand.
Nous devons bien l’aimer. » La mère véritable
Tout aussitôt reprit d’une voix lamentable :
« Aimez-le aussi pour moi, pour notre père Hoël ;
Avant qu’il ait grandi nous serons dans le ciel. »
Et la mère se tut. La pieuse assemblée
Entendit ce propos et n’en fut pas troublée.
Ainsi que des chrétiens qui savent d’un cœur fort
Accueillir à son heure et la vie et la mort.

Hoël n’oublia point les antiques usages :
« Le ciel est tout en feu, dit-il ; et les gens sages
Viendront prendre avec moi le frais dans mon manoir.
— Hoél ! ferme ou château, plus d’un voudrait l’avoir :
Une bonne maison, bâtie en pierre grise.
Avec ses deux hangars au soleil bien assise,
Et, comme dit son nom, bâtie au coin du bois.
— C’est vrai, de père en fils ici nous sommes rois.
Pourtant les sangliers y font la guerre aux hommes,
Et la nuit les chevreuils viennent manger mes pommes.
— Jésus Dieu ! dit le clerc en entrant, le beau lit !
Ma mère avait raison : chez Guenn-Du tout reluit.
On pourrait se mirer dans vos bassins de cuivre.
Ici tout sent la cire. Hé ! n’est-ce pas un livre ?
— Oui, jeune homme, un gros livre ! Anna le lit souvent.
Dam ! nos sœurs de Kemper l’ont eue à leur couvent. »

Anne sur le bahut apporta du laitage,