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« Vite ! gagnez un port ; puis, sur un bâtiment,
Pour Vanne ou pour Auray partez secrètement.
Là, mes amis, des bras vaillants, des âmes fortes !
Là, vous verrez s’ouvrir pour vous toutes les portes ;
Gendarmes et soldats n’auront qu’à se damner.
Comme au vieux temps, c’est là qu’on peut encor chouanner. »

Les deux bannis, suivant leur course aventurière,
Au-dessous de Tréguier côtoyaient la rivière,
Quand l’un des deux, marchant avec plus de lenteur.
Murmura : « Je connais la voix de ce chanteur ! » —

Jean Le-Guenn est assis au seuil de sa cabane ;
D’une longue tournée aux paroisses de Vanne
Il arrive, son sac dégarni de chansons,
Mais plein de beaux deniers jetant de joyeux sons.
Comme le mendiant qui vend ses patenôtres,
Lui va semant partout ses chants et ceux des autres ;
Il va, les yeux fermés et le front en avant,
Barde aveugle appuyé sur le bras d’un enfant ;
Enfin, quand ses cahiers courent chaque commune,
Il rapporte au logis sa petite fortune.
Le voici revenu depuis la fin du jour,
Et gaîment sur sa porte il chante son retour.
L’aveugle cependant fait soudain une pause.
Son oreille subtile entendant quelque chose.

« Poursuivez, Jean Le-Guenn ! Oh ! nous vous connaissons,
Nous savons mieux que vous plusieurs de vos chansons.
Quel Breton n’écouta votre voix dans les fêtes,
Et, lorsque vous passez, ne dirait qui vous êtes ?
Poursuivez, Jean Le-Guenn ! cet air va droit au cœur ;