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Pour faire tant d’ouvrage, hélas ! nous sommes seules !
Ou plutôt les démons remplacent les Esprits.
Les méchants viennent vite ou les bons sont proscrits.
Moi, je nomme démons toutes ces mécaniques,
Vrais engins de l’enfer, trouvailles sataniques,
Qui font que le fileur, épuisé de besoins,
Toujours travaille plus, et toujours gagne moins. » ^

Tel était le récit de Jeanne ; et dans ce conte
Bien des cœurs sérieux sauraient trouver leur compte.
Le clerc en fut touché, lui qui toujours rêvait.
Mais, comme le travail de Mana s’achevait,
S’achevait le premier, il restait dans l’attente,
Pour offrir le ruban à la plus diligente,
Espérant que ce zèle ardent serait compris,
Et que le prix offert lui-même aurait son prix.
 
Une dernière mèche était presque tournée.
Lorsque du fond de l’âtre et de la cheminée
Sort une voix aiguë et grêle, un bruit pareil
À la voix des grillons qui chantent au soleil,
Comme une voix de fée : « Eh quoi ! l’Angélus sonne,
Et vous filez encor ! Dormez ! je vous l’ordonne. »
Soyez sûr qu’à ces mots chacun se tenait coi,
Et promenait un œil timide autour de soi,
Quand, parmi les tisons et les cendres de l’âtre,
On vit lourdement choir la fée au teint noirâtre :
C’était messire Hervé qui, morne tout le soir,
Voulait donner enfin preuve de son savoir,
Et terminer gaîment par sa plaisanterie
Cette laborieuse et longue filerie. —