Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais le chant, les croyances, les traditions merveilleuses sauront bien animer de leurs couleurs riantes ou sombres cette apparente monotonie.

Tel est l’harmonieux ensemble qu’il fallait reproduire dans sa simplicité variée, afin que, lisant ce récit, on pût dire : « Les choses se passent ainsi en Bretagne ; cette histoire doit être vraie. »

Et même à ceux-là qui s’enorgueillissent, mais souffrent, au milieu d’une civilisation plus avancée, le calme de ces mœurs primitives, à mon sens, devait sourire ; j’y croyais voir un intérêt sincère et durable. Aussi ma crainte était grande de ne pouvoir mener à terme cette douce mais laborieuse entreprise, tant j’avais à cœur d’offrir à ces esprits tourmentés un poème heureux, si l’on peut dire, d’opposer aux pensées troublantes une œuvre qui rassérène.

Ma tâche finie, c’est avec regret que je m’en sépare. La vie de mon peuple, celle de mes personnages était devenue la mienne. Si Daûlaz, le jeune clerc, son livre sous le bras, allait au pays de Vannes (mélancolique voyage !) se distraire des scrupules religieux de la blotide fille d’Hoël, j’aimais à le suivre au milieu des pierres druidiques de Carnac, dans les îles saintes du Mor-Bihan, et, au retour, à trouver Anna et sa sœur Hélène plongeant un enfant malade dans l’eau bienfaisante de la fontaine. Guidé par le pâle vicaire, j’aimais à suivre le conscrit Lilèz et sa pieuse cousine sur les mers sauvages de Cornouaille, à prier avec eux dans les chapelles de Léon, et, avant de clore ce long pèlerinage, à descendre dans ces abîmes,