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On dit qu’en l’autre monde il est dans un étang ;
Il est jusqu’à la bouche en un marais de sang.

« Lorsque ceux de Plô-Meûr pour ces grandes tûries
Furent marqués : « Le loup est dans nos bergeries,
Dirent-ils en pleurant ; soumettons-nous au mal,
Et tendons notre gorge aux dents de l’animal. »

« Ils dirent au curé « Nous partirons dimanche ;
Prenez, pour nous bénir, l’étole noire et blanche. »
À leurs parents : « Mettez vos vêtements de deuil. »
Au menuisier : « Clouez pour nous tous un cercueil. »

« Horrible chose ! on vit, traversant la bruyère.
Ces jeunes gens porteurs eux-mêmes de leur bière ;
Ils menaient le convoi qui priait sur leur corps ;
Et, vivants, ils disaient leur office des morts.

« Beaucoup de gens pieux des communes voisines
Etaient venus ; leurs croix brillaient sur les collines ;
Sur le bord des chemins quelques-uns à genoux
Disaient : « Allez, chrétiens ! nous prierons Dieu pour vous. »

« Au milieu de la lande où finit la paroisse,
S’arrêta le convoi : ce fut l’heure d’angoisse.
Dans la bière on jeta leurs cheveux, leurs habits.
Et tout l’enterrement chanta De profundis.

« Les pères sanglotaient ; il semblait que les femmes
Dans leurs cris forcenés voulaient jeter leurs âmes ;
Tous appelaient leurs fils en se tordant les bras ;
Comme s’ils étaient morts, eux ne répondaient pas.