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Embrassent leurs parents : ils sont là près d’un mille.
Déjà, quand ce matin ils faisaient leurs adieux,
Qui ne sentait aussi des pleurs mouiller ses yeux ?
Le sombre souvenir, Kemper, dans ton histoire !
Leurs sanglots recouvraient tous les bruits de la foire.
Ils regardaient l’église et la place, et leur voix
Murmurait tristement : « C’est la dernière fois ! »
Lilèz, ce cœur naïf et franc, Dieu le protège !
Ses parents, ses amis, lamentable cortège,
Du bon saint Corentin ont entouré l’autel :
Ah ! pauvres gens de Scaer, entendez-vous l’appel ?
 
Assez, Lilèz, assez de pleurs et de prières !
Le tambour bat, jeune homme, essuyez vos paupières !
Sortez de cette église aux ordres de la loi !
Vos moments ne sont plus à vous, ils sont au roi.
La faux se lève et court sur la fleur des peuplades…
Ô les poignants adieux ! les sombres accolades !
 
Guenn, ouvrant ses deux bras, dit à son cher neveu :
« Fils de ma sœur, venez ici me dire adieu.
Qu’une dernière fois sur mon cœur je vous serre !
Six ans venus, qui sait si je serai sur terre ?
Conscrit désespéré, si la main d’un méchant,
D’un fourbe, n’avait point usurpé votre champ,
Vous n’auriez point quitté, jamais, je le répète.
Les lieux que vous aimez, où chacun vous regrette.
Mais envers vous moi-même ai-je fait mon devoir ?
Si pauvre que je suis, il fallait chaque soir
Mettre à part un denier ; et cette faible somme,
Grossie avec le temps, vous sauverait, jeune homme.
Pour la dernière fois venez entre mes bras !
Quand vous serez parti que ferai-jc ici-bas ?