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Mon ami, celui-là ne t’a jamais connu,
Ou de nos jeunes ans ne s’est point souvenu.
L’un sur l’autre appuyés, et pareils à deux frères,
Nous courions en chantant à travers les bruyères ;
Tout enfants nous n’avions qu’une âme avec deux corps :
Eh bien ! nous voilà tels que nous étions alors.
Le temps seul a changé. Mais, clerc de ma paroisse,
Si ton esprit, habile à se nourrir d’angoisse,
Dans le suc le plus doux ne cherche point du fiel,
Ton verre jusqu’aux bords est encor plein de miel.
Quant à moi, je boirai mon vase d’amertume
Sans trop de désespoir, ainsi que j’ai coutume.
Que Dieu m’aide, et peut-être un jour sous le drapeau
J’aurai des lauriers verts autour de mon chapeau !
Mais avant que le bruit des tambours nous appelle,
Loïc, vous mes parents, vous aussi, jeune belle.
Entrons dans cette église, et prions Corentin
Qu’il me guide toujours de sa crosse d’étain… »

Nous, vers le Champ-de-Foire, allons ! Le nombre augmente,
Et la bruyante ruche en plein midi fermente,
À peine ce matin on pouvait faire un pas.
Le plus fort à présent ne peut ouvrir les bras.
Cependant nul marché ne tient que si l’un tape
Dans la main, et que l’autre à son tour y refrappe ;
Il faut fendre la presse, et dans un cabaret
Boire ensemble, ou l’accord mal formé se romprait.
Durant une heure (ainsi l’usage le demande),
Pour un verre de cidre on chicane, on marchande.
Durant tous ces débats, les génisses, les veaux,
Sont là roulant leurs yeux et tendant leurs museaux.
On tire leurs jarrets, on trait les pis des vaches,