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Je ne suis point berger, je ne suis point docteur :
Que puis-je faire ici ? Je suis comme la pierre
Qui le long du coteau roule faute de terre.
Une fille pouvait m’arrêter en ce lieu ;
Mais elle ne veut point voler une âme à Dieu :
Sa bouche me l’a dit. À cette fille même,
À tous ceux de mon temps qui m’aimaient et que j’aime,
Puis à ma vieille Armel, adieu !… Pauvre garçon,
Ce matin, en passant devant notre maison.
Ce matin, j’entendis ma bonne et vieille mère
Qui chantait d’une voix si triste en sa chaumière
Que, pour la voir encore et lui parler un peu.
J’ouvris et vins m’asseoir près d’elle au coin du feu.
Aussitôt je sentis en moi mon cœur se fondre ;
Et des discours, auxquels lui seul pouvait répondre,
Sortirent de ce cœur, si pressés, mais si doux,
Que ma mère me dit : « Jeune homme, qu’avez-vous ? »
Alors il fallut bien partir ; mais, sur la route.
Mes larmes, croyez-moi ! tombaient à grosse goutte.
À présent, Dieu la garde et lui donne toujours
La mesure de blé nécessaire à ses jours !
Quand je ne serai plus, qu’une âme charitable
Prenne soin quelquefois de placer sur sa table
Du chanvre pour vêtir son vieux corps sans chaleur,
Et du cidre en hiver pour réjouir son cœur !
Embrassons-nous, Lilèz ! Voici la triste chose
Qu’au pli de ton oreille en partant je dépose ;
Mais si je ne puis rien pour ma mère et pour moi,
Mes jours te serviront, Lilèz : ils sont à toi ! »
 
« — Ah ! si quelqu’un disait, au pays d’où nous sommes,
Qu’il n’est plus d’amitié loyale entre les hommes,