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Et, tout transi de froid, de coucher sur la dure ;
Mais, peur de la fatigue ou des coups de canon,
À ceux qui diront oui ! moi je répondrai non !
Devant les yeux du loup, hommes de ma famille.
Vous savez si mon cœur tremblait ; vous, jeune fille,
Ma cousine Lena, qui pleurez près de moi,
Si moi je pleure aussi, vous savez bien pourquoi…
Adieu, puisqu’il le faut, plaisirs de ma jeunesse !
Adieu, mes chers parents ! Adieu donc, ma maîtresse !
Vous, monsieur saint Alan, patron de mon pays,
Adieu ! je vais en France. Adieu, tous mes amis ! »

Aux plaintes du soldat aucune des trois femmes
Ne répondit : l’angoisse avait brisé leurs âmes.
Toutes les trois pleuraient. C’est alors que Daûlaz,
Jeune clerc qui portait un livre sous le bras,
Dit ces mots, qui seront l’honneur de son histoire,
Et dont les assistants ont gardé la mémoire.
 
« Si tu veux, ô Lilèz ! tu ne partiras pas,
Dit le sage écolier qui se nommait Daûlaz.
Retourne en ton pays ; moi, l’étude me lasse,
Et dans ton régiment j’irai prendre ta place.
Oui, je prendrai ton sabre et ta giberne aussi,
Tandis que tout l’été, jeune homme sans souci,
Et comme un joyeux clerc dans le temps des vacances,
Tu courras les Pardons, les luttes et les danses.
Pour quitter notre bourg, Liiez, j’ai mes raisons :
Mes bras ne savent plus travailler aux moissons ;
On a brisé leur force. Hélas ! un savant maître,
De moi, pauvre ignorant, a voulu faire un prêtre !
Il a changé mon âme, et voilà mon malheur.