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Les pauvres jeunes gens : ils sont tombés au sort !
Déjà pour les compter arrivent les gendarmes ;
Et, comme eux, leurs parents sont noyés dans les larmes.

Je connais ce conscrit : c’est un enfant de Scaer,
C’est Lilèz, vrai Breton, un beau corps, un cœur fier.
Celle qui lui tint lieu de mère, sa marraine,
L’a conduit à Kemper avec sa fille Hélène ;
Avec sa fille Hélène elle est venue ici.
Car le jeune homme avait le cœur de celle-ci ;
Anna, son autre fille, était aussi du nombre,
Et Loïc qui la suit partout comme son ombre.
Enfin le confesseur lui-même était venu :
Leur mutuel amour du prêtre étant connu,
Homme sage, il voulut raffermir et défendre
Ces cœurs pleins de jeunesse et tout près de se fendre.
En tous lieux un départ est chose triste à voir ;
Mais dans notre Bretagne, oh ! c’est un désespoir.
 
Après bien des conseils au soldat, le vicaire
De loin vit arriver un pêcheur, son vieux père.
Bientôt, comme ils causaient entre eux d’Enèz-Eussâ
(L’île d’Ouessant), Lilèz, plus hardi, commença :
« Beaucoup, voyant mes yeux et mon visage humide,
Diront que Dieu m’a fait d’un cœur faible et timide ;
Peut-être à leurs foyers cet hiver diront-ils
Que j’aurai peur devant les sabres, les fusils,
Ou peur de la fatigue, et, toujours à la file,
Avec mon régiment d’aller de ville en ville.
Dans les mauvais chemins portant sans nul repos
Mes armes, mes habits, mes vivres sur le dos ;
Peur enfin d’endurer ce qu’un soldat endure,