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Un prêtre, un saint vieillard, de sa main le vêtit,
Et sur d’autres vieillards librement l’étendit.
Mais rois, ducs ou barons, tous présentaient au barde
Des armes en tronçons rouges jusqu’à la garde.
Puis, trente chevaliers. Un des Trente en passant
Cria : « J’ai soif ! — Eh bien, Beaumanoir, bois ton sang !… »
Ô salles de Coat-Lorh, sortez de vos décombres !
Pierres, rassemblez-vous ! Montez, murailles sombres !
Sur ces fiers visiteurs suspendez vos arceaux ;
Mais ne vous fermez pas à leurs humbles vassaux.
La houe et le fléau, comme d’anciens esclaves,
Ils les portaient encore ; et, tout pâles et hâves :
« N’auras-tu point pitié, barde, de notre sort.
Nous qui n’avons trouvé de repos qu’à la mort ?
— O laboureurs ! ma voix vous fit souvent entendre,
Pauvres gens, si pour vous mon cœur est un cœur tendre !
C’est vous seuls que mes vers se plaisent à chanter,
Et c’est vous, cette nuit, que je viens visiter. »

Mais un premier rayon, entrevu par les Âmes,
Soudain les mit en fuite ; et des hommes, des femmes,
Tous, chanteurs attardés, heurtèrent l’étranger,
Qui d’un sommeil profond sembla se dégager.
Il murmura : « Quel rêve ! » Et le chef de la bande :
« Grand Dieu ! par cette nuit seul ici sur la lande !
Mais, c’est vous ! vous voilà dans notre vieux pays ?
— Eh bien ! quoi de nouveau chez nos anciens amis ?
— Tous sont dans la tristesse : Anna pleure son père.
Et Lilèz son départ. — Et toi, Loïc, mon frère ?
— Oh ! moi, vous savez trop comme s’en vont mes jours !
Votre sort est le mien : aimer, souffrir toujours ! »