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Et le conscrit disait : « Ma pauvre âme peut-être
Ainsi viendra pleurer devant cette fenêtre. »

Ah ! le sombre hibou qui vole d’if en if.
Aux oiseaux réveillés jetant son cri plaintif,
Est moins triste, moins triste est la voix des chiens vagues
Par un soir d’ouragan hurlant contre les vagues,
Qu’en ce premier novembre, où nul astre ne luit,
Le cantique des Morts errant toute la nuit !…
Des clercs, des mendiants, de village en village,
Se plaisent à semer partout ce chant sauvage,
Pour rappeler à ceux qui dorment dans leurs lits
Ceux qu’en la terre froide ils ont ensevelis.
Mais qui viennent ce soir, dégagés de leurs langes,
Aux vivants se mêler : innombrables phalanges,
Tourbillons plus serrés que ne sont à la fois
Les sables de la mer et les feuilles des bois.
Tous ces bruissements qui passent dans les ronces,
À vos chants désolés, chanteurs, sont leurs réponses.

Par cette nuit de deuil, un barde, un voyageur,
Errait sur les confins de Scaer. Pieux songeur.
Il venait recueillir ces cantiques funèbres
Qu’enfant il écoutait, pâle, dans les ténèbres,
Et visiter ses morts ; et ce peuple léger
Dans la brume semblait près de lui voltiger :
Parents, premiers amis, jeunes filles aimées,
Enfants qui l’an passé jouaient sous les ramées.
Et ceux des anciens temps que leur pesant men-hîr.
Leur cercueil de granit, ne saurait retenir ;
Prêtres, bardes, guerriers, toute une foule étrange
Qui vient voir en pleurant comme chez nous tout change.