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À ces mots, sur la table Anna posa ses crêpes.
« Oh ! tous vont là-dessus tomber comme des guêpes !
Dit sa sœur. Mais, Lilèz, apportez, s’il vous plaît,
La grande jatte au beurre : ils sont friands de lait.
— Surtout, reprit Guenn-Du, n’éteignez pas la braise.
Ici, dans le foyer, Alan, plaçons ma chaise…
Mes filles, à présent venez me décoiffer :
Les morts ont à manger, à boire, à se chauffer. »
 
Déjà tous sont au lit, les enfants et la mère ;
Mais pour fermer leurs yeux le sommeil ne vient guère.
Hé ! qui pourrait trouver du sommeil ici-bas
Lorsque dans leur linceul les morts ne dorment pas ?
À chaque bruit des bancs ou de la cheminée,
Tous les gens du hameau tremblaient ; la sœur aînée
Prenait sa jeune sœur Annaïc dans ses bras,
Et celle-ci cachait sa tête sous les draps.
Les hommes, plus hardis, poursuivaient leur prière.
Ou, la tête en avant, autour de la chaumière
Ils regardaient dans l’ombre ; eux-mêmes, tout à coup,
Ils ont senti le souffle arrêté dans leur cou :
À l’heure où le brasier était près de s’éteindre,
S’éveillant à demi, le chien s’est mis à geindre ;
Dans la cour on entend un bruit lourd de sabots ;
Des hommes qui de loin murmuraient quelques mots
S’approchent, et, frappant trois grands coups sur la porte,
Chantent à l’unisson d’une voix lente et forte :

« Si dans cette maison vous êtes endormis,
Voici la Nuit des Morts : réveillez-vous, amis !
Pour tant de morts et tant de mortes,
C’est Dieu qui nous a dit de frapper à vos portes.