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En vous voyant venir du côté de la grange,
En vous voyant venir sous vos robes de deuil,
Je disais : « C’est un mort qui sort de son cercueil !
— Armel, oui, plaignez-moi, car nous sommes deux veuves,
Et nous avons passé par les mêmes épreuves.
Une maison est lourde, hélas ! quand un support
S’écroule et que le poids tombe sur le moins fort !
Dites ! que peut alors une innocente femme ?
Tout le monde l’accable, elle n’a que son âme.
Ce sont des serviteurs qui font mal leur devoir,
Des enfants à nourrir, des filles à pourvoir,
Cent choses à troubler la tête la plus ferme.
Loïc, votre bon fils, vient le soir à la ferme :
Mon pauvre homme l’aimait, ma fille l’aime aussi,
Dieu veuille que le prêtre arrange tout ceci !
— Guenn, je l’ai dit souvent : Dieu le veuille ! le veuille !
Comme un arbre je sèche, et tombe feuille à feuille ;
Mais nous souffrons sur terre et nous la regrettons,
Et j’aimerais à voir fleurir nos rejetons.
— Eh bien ! quand vous portez au marché votre beurre,
Entrez, nous causerons ; moi, je vais à cette heure,
Je vais porter ma bague à la Vierge du bourg.
Oui, cet anneau de veuve à mon doigt semble lourd.
Mon ancien compagnon, Hoël, le redemande,
Et je l’offre à Marie afin qu’elle le rende. »
 
Depuis longtemps la veuve, à l’ombre d’un pilier,
Priait à deux genoux, et sur son tablier
Lentement, grain à grain, défilait son rosaire.
Attendant, pour remplir son vœu, que le vicaire
Fût sorti de l’église et du saint tribunal.
Or deux femmes étaient au confessionnal,