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Dès que le point du jour blanchit le haut du toit,
Les femmes commençaient leur œuvre. « Il est tout froid,
On peut laver le corps, dit Armel. Mais la veuve
A-t-elle préparé ses draps de toile neuve ?
— Ouvrez, dit celle-ci, je vous entends ! ouvrez
Le grand bahut de chêne, et là vous trouverez
Bien pliés et tout blancs mes anciens draps de noces,
Du fil, un sac rempli de fèves dans leurs cosses,
Enfin tout ce qu’un mort demande autour de soi.
Prenez un drap pour lui, gardez l’autre pour moi.
Mais que le menuisier ferme le lit de planches
Bien doucement ; et vous, dans les deux toiles blanches
Enfoncez chaque épingle avec un doigt prudent :
Les morts ne parlent pas ; ils souffrent cependant.
Oui, notre fossoyeur l’a dit : le cœur se navre
Quand on sait comme lui ce que souffre un cadavre. »
 
Vers la même heure, Alan, le valet de Coat-Lorh,
Traversait la forêt qui, murmurante encor,
Secouait ses rameaux humides de la veille.
Ainsi que ses cheveux un homme qui s’éveille :
« Lan ! Alan ! où vas-tu si vite ? — Hé ! les garçons !
Est-ce vous qui rôdiez derrière ces buissons ?
Bleiz vous avait sentis. C’est un maître à la piste.
Bonne chasse ! Chez nous cette nuit fut bien triste.
— Quoi ! ton maître n’est plus ? — Jésus ! toute la nuit
La Mort sur sa charrette a donc roulé sans bruit ?
Prends garde à toi, Ronan ! Depuis que tu sais lire,
Tu te railles du diable, et les morts te font rire.
Pourtant, si vous venez tous deux veiller le corps,
Vous aurez du pain blanc et du cidre à pleins bords.
Adieu, Ronan ! — Bonjour, Alan ! — Porte ton livre.